Harari (2018) indique, qu’il “est difficile d’observer la culture samoane sans biais ou préjudice” et qu’il “est plus difficile de s’observer soi-même objectivement”. Non seulement nous portons des jugements faux sur les autres, parce qu’empreints de préjugés, mais nos jugements sur nous-mêmes sont partiaux, parce que nous ne “grattons pas en profondeur” pour découvrir la réalité qui est nôtre. Nous préférons demeurer en surface de notre condition, pour mieux projeter de nous-mêmes ce qui fera éclat sur le monde. Nous avons un parti pris pour la surestimation de nous-mêmes, et une nette tendance à la sous-estimation des autres.
De nombreuses études (Svenson, 1981; Dunning et Kruger, 1989; Hoorens, 1993); Giladi, 1999; Zuckerman et Jost, 2001, Keilor – Lake Wobegon, 1985) ont démontré que les gens non qualifiés présentent une difficulté métacognitive qui les empêche de reconnaître leur incompétence et les amène à surévaluer leurs capacités. Ainsi, on a situé autour de 95 % le nombre de gens à succès (les dirigeants plus spécifiquement) qui s’estiment faire partie de la première moitié statistique dans leur entreprise. Leur succès, ils l’attribuent à leur seul mérite, ce qu’ils appellent leur “compétence”. Or, la compétence n’est pas un acquis de talent, mais un constat de rendu sur la tâche assignée une fois l’exécution de celle-ci terminée et dûment évaluée. Elle ne se présume jamais. Elle ne peut que se confirmer ou s’infirmer, suivant la qualité de la tâche rendue, en tenant compte des accélérateurs et des inhibiteurs la concernant (en somme tout ce qui dans l’environnement la conditionnera). Qui plus est, tous nous bénéficions d’un facteur chance, lequel marque le résultat de tous nos projets (Mauboussin le situe à 86 %).
En entreprise, plus on monte dans la hiérarchie des postes, moins on se remet en cause. Ce qui entraîne que, se surestimant, les dirigeants en viennent par la force des choses à sous-estimer la véritable contribution des autres aux résultats de l’entreprise. Notons, que les contours de l’évaluation du résultat à la tâche du personnel sont généralement connus, alors que ceux des dirigeants sont tenus secrets. Les dirigeants sont “compétents” par définition, alors que le personnel ne l’est jamais même par destination. Pourtant, le flux de l’activité et des affaires de l’entreprise, pour que le résultat de l’exercice soit jugé satisfaisant, passe inexorablement entrer les mains du personnel, avant d’aboutir en succès de marché. Déprécier l’apport au résultat du personnel, à l’avantage des seuls dirigeants, c’est comme imputer au conducteur l’énergie du moteur. La course n’est pas gagnée parce que le premier accélère, mais parce que le second répond aux commandes avec efficience.
En entreprise, la direction n’a d’objectivité qu’envers elle-même, ce qui est bien réel. Et elle n’a pas d’objectivité confirmée envers les autres, ce qui n’est pas une fiction.