E. Schumaker (1979) postule que « L’introduction des technologies modernes dans la division du travail a atteint à la dignité de l’humain en rendant sa tâche insignifiante ». Ce qui a souvent résulté, chez lui, en « racornissement de la personnalité », « corrosion des relations humaines » et « comportement irresponsable ».
Les technologies modernes, qui sont immensément plus complexes que leurs devancières, exigent moins d’initiative, de la part de l’humain, pour leur utilisation, que d’attention soutenue pour leur surveillance. Et, la division du travail qui s’ensuit a fait que la tâche de l’humain a perdu de sa substance d’origine, pour ne devenir, trop souvent, qu’une série d’actes parfaitement dépourvus d’intelligence créatrice.
L’humain a l’impression, suite à la profusion des technologies dans le milieu de réalisation de soi qu’était antérieurement pour lui l’entreprise, d’être non pas indispensable au produit innovant de l’activité et des affaires de cette dernière, mais un appendice de machines. Au lieu d’entretenir des « relations de conjonction » (Borgenson, 2007) avec ses semblables, le flux de travail, dans lequel s’inscrit sa tâche, le contraint désormais à maintenir des « rapports d’organisation » (Sciaraffa, 2011; Hardimon, 1994) avec des substituts d’humains.
Dans de pareilles conditions, l’humain se sent moralement déprécié dans sa dignité sociale d’être utile aux autres (Held, 2006), et est porté à se déresponsabiliser (Bubeck, 1995) face à ceux et à celles qui, comme lui, voudraient s’actualiser au travail par l’exploitation de leur plein talent créatif. Il y a refus de sa part d’exclusion de soi (Card, 1991), en termes de capacité d’apport d’utilité aux autres, par le déclassement de son statut professionnel au profit de technologies sans statut aucun.
Pour l’humain, le milieu de réalisation de soi, qu’aura représenté jusque-là l’entreprise, aura perdu son sens d’espace-temps d’épanouissement personnel pour ne devenir qu’un simple lieu d’occupation technique. Son besoin de contribution et de dialogue avec les autres, et donc d’identification avec eux (Fraser, 1989), en vue de l’affirmation de leurs valeurs humaines communes, sera non seulement insatisfait mais ignoré par l’entreprise. Le travail, ce faisant, aura perdu pour chacun sa signification d’utilité sociale pour n’être plus qu’un acte économique à substance impersonnelle.
Doit-on insister outre mesure sur l’importance qu’attache l’humain au sentiment de sa contribution à l’utilité sociale de son talent, pour faire ressortir la valeur qu’il impute à son épanouissement personnel par le travail innovant? Or, dès lors que l’innovation lui échappera, pour être concentrée quasi uniquement entre « les mains » des machines, l’humain se sentira non pas tant dépassé par les technologies qu’il aura créées mais déclassé par ceux et celles qui les substitueront à sa personne au travail.
L’humain a un besoin inassouvi de réalisation de soi, et le meilleur moyen de l’étancher en partie c’est de lui permettre de s’accomplir par l’apport innovant de ses propositions de changement dans l’entreprise. Propositions qui ne peuvent être bêtement limitées aux modalités de surveillance de machines appelées à le remplacer comme premier producteur d’idées en entreprise.
L’humain a besoin de s’accomplir pleinement, et il ne pourra y arriver dans un milieu qui aura perdu pour lui presque tout potentiel d’actualisation de soi, à compter d’apports d’intelligence propre plutôt que de supports de production impersonnelle.