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La péritrope du management en entreprise

La péritrope est un argument qu’a utilisée Socrate, contre le point de vue de la vérité par Protagoras, dont il fait état Platon in Théétète. Le mot vient du grec ancien, et renvoie à l’idée de “retour sur lui-même”. Plusieurs attribuent à Sextus Empiricus (fin du IIe siècle av. J-C) le mot comme tel. Thomas d’Aquin (1225-1274) et Avicenne (980-1037), comme dans les temps modernes Myles Burnyeat (1939-2019), ont beaucoup utilisé la péritrope. Il s’agit d’une tournure de contre-argument du type de celui utilisé par Socrate pour détruire l’argument de Protagoras.

Dans What Plato Said, Paul Shorey note que: “Le premier argument avancé par Socrate est la soi-disant péritrope, qui, en termes techniques, veut que l’opinion de Protagoras se détruise d’elle-même, parce que, si la vérité est ce que chacun affirme et que la majorité des autres répudie la définition de la vérité avancée par Protagoras, il reviendra à Protagoras de démontrer la véracité de sa prétendue vérité”.

On trouve dans L’Euthydème de Platon une compilation de matériel didactique dit Dissoi Logoi ou “double argument”. On ne sait pas comment Protagoras a développé la position que lui attribue Platon, qui formule une vue sur la vérité et le savoir où “ce qui apparaît à chaque homme est la vérité pour lui”. On sait, par contre, que Démocrite (460-370 av. J-C.) a usé contre Protagoras une forme de scepticisme et de théorie du savoir que l’on associe à la péritrope.

Je n’entends pas faire ici un exposé critique voire historique sur la philosophie des anciens grecs. Je veux tout simplement faire un parallèle entre la pensée grecque ancienne et la pensée managériale courante, qui tient, dans une même perspective, certaines choses pour vérité incontestable alors qu’elles n’ont jamais été véritablement démontrées dans les faits. Il semble se creuser, depuis l’ère des “alternative facts”, un fossé grandissant d’inquiétude entre l’intelligence pratique et la réflexion sur soi-même, où l’entreprise, direction et personnel confondus, prennent des vessies pour des lanternes. Les arguments de l’une ou de l’autre convient à la péritrope l’observateur critique du discours et de la réalité de l’entreprise, tellement le bon sens commande qu’ils se détruisent d’eux-mêmes sur énoncé simple.

Au lieu de prouver par les faits, on allègue par les prétentions et les projections abstraites d’état coutant comme de réalisations passées. Ce qui est affirmé n’est pas démontré, et ce qui est argumenté ne tient pas l’analyse. L’entreprise s’enlise dans une boue de suppositions, qu’il faudrait tenir pour vérités révélées.. alors qu’elle exige elle-même des autres des preuves irréfutables de leurs avancées en toute matière.

On en vient à la “self-fulfilling theory” du non-savoir utile de l’entreprise à la “self-refusing idea” de ses affirmations par les autres. Personne ne fait plus confiance à l’entreprise, parce que chacun, par “argument” interposée, ment. La péritrope s’alimente alors d’elle-même.