DÉGELER
Ouvrage de référence : L’entreprise de l’autrement : Une philosophie de la gestion du changement
Le monde de l’entreprise n’est pas, comme certains l’imaginent, un milieu foisonnant d’innovations, ni technologiques ni managériales. Les entreprises préfèrent, et de très loin, l’économie sur l’investissement que l’innovation requiert pour aboutir. Au lieu d’une sortie de fonds, l’opération comptable ajoute à leur profit, et leurs états financiers s’en portent mieux. Le malheur, c’est que leur utilité dans le marché risque, elle, de prendre du plomb dans l’aile.
Depuis son institution, vers 1590, l’entreprise à capital-actions a privilégié le monopole à la concurrence dans le marché. En imposant ses conditions, à un marché absolument captif, l’entreprise n’a pas à innover, et donc n’a pas à satisfaire à l’exigence du remplacement de son offre. Bien sûr, la concurrence existe dans le marché, par simple effet de capillarité. En d’autres mots, d’autres joueurs arrivent, dans le marché existant, parce qu’il est devenu lucratif. Ils n’émergent pas pour innover comme tel, mais pour prendre part au festin du revenu. Leur présence entraîne, fatalement, une concurrence, parce que le seul moyen de durer le moindrement dans le marché, c’est d’offrir mieux à meilleur compte. Mais la démarche d’innovation que cela force est peu conciliable avec l’objet de leur présence, qui n’est autre que de partager le profit.
Or, l’entreprise n’est pas un instrument d’enrichissement à la base, mais un outil de réponse à un besoin exprimé par le client. Sa fin réside donc dans sa fonction sociale, soit celle de satisfaire une demande spécifique. Le moyen d’y arriver, c’est de produire un bien ou un service, d’où l’utilité économique de l’entreprise.
Pour produire, mieux et à moindre coût, l’entreprise doit repenser ses modes, méthodes et pratiques de gestion des affaires. C’est à cet égard, que l’entreprise doit reformuler son approche aux affaires. Pour optimiser ses capacités, potentialités et opportunités de marché, l’entreprise doit remettre en cause ses procédures, procédés et processus de conception, de gestion et d’évaluation de l’activité menée.
Dans un monde sans frontière, parce que mondialisé, il est impérieux de repenser non seulement les modalités d’abord des marchés, mais de recentrer le cadre de gestion des affaires de l’entreprise. L’entreprise vit désormais dans un monde différent de celui qui était sien avant l’émergence de l’Internet. L’informatique, comme la robotique, a ouvert la voie au changement dans les modes de gestion des fonctions liées à la production. L’Internet a, pour sa part, remis en cause les modalités de gestion de la fonction marketing de l’entreprise.
Il reste encore à l’entreprise à repenser ses modes, méthodes et pratiques de gestion des interrelations, dans son rapport avec le marché. Là où se situe la fin même de l’entreprise, et qu’exprime sa réponse à la demande-client. Ce qui, étrangement, ne commence pas tant par l’appréciation du profit, que par l’enrichissement de la relation-clients. Et cela renvoie à la qualité des échanges entretenus avec le client. Facteur essentiel de maintien dans le marché, et qui passe par les membres du personnel de l’entreprise. De fait, l’activité est non seulement exécutée par les membres du personnel, mais elle est mise en marché par ceux-ci. Or, les membres du personnel sont les derniers maillons de la chaîne de valeur dont l’entreprise se préoccupe activement.
L’heure est arrivée, de mettre l’homme au coeur de l’activité de l’entreprise. Celui qui produit, celui qui vend et celui qui achète les biens et les services qu’offre l’entreprise. La relation-clients fait le pont entre la production et la consommation. Sans celui-ci, il n’est pas d’aboutissement à l’activité entamée par l’entreprise. Toutes les autres fonctions, dans le corps d’emplois de l’entreprise, ne sont que de support à celle déterminante du service au client. Ce qu’il y a lieu de repenser, en profondeur, ce sont les conditions d’exercice de la tâche qui, dans l’entreprise, sont directement vécues par ceux et par celles qui assurent la relation-clients. Une relation qui n’est pas limitée au seul moment de la transaction d’achat du client, mais qui commence avec la qualité du bien produit et qui se termine avec le service subséquent au client.
L’entreprise n’a pas mandat de refaire le monde, au sens spécifique de l’expression. Elle n’agit pas dans l’espace politique, mais économique et social de la nation. Son rôle est donc de répondre à la demande exprimée, et de satisfaire celle-ci entre les mains de ses clients. Imaginer le monde autrement, pour l’entreprise, c’est repenser son rapport au personnel et au client, les tenants et aboutissants de sa mission propre. C’est dans cette perspective, qu’il est ici suggéré à l’entreprise de remettre l’homme au coeur de son activité, et de reformuler ses modes, méthodes et pratiques de gestion de l’activité, de sorte que cette condition soit remplie.
S’il est une personne à qui il faut se plaindre de la mal gestion des affaires dans l’entreprise actuelle, c’est encore son chef de direction. Le changement de culture dans l’entreprise, pour renverser cette situation, ne peut s’opérer, sans que celui-ci n’en soit le porteur premier. Étrangement, les mentalités, en matière de conditions de gestion de la qualité de vie dans l’entreprise, n’ont changé qu’à la marge dans le monde feutré de la direction des entreprises. Année après année, les enquêtes internationales démontrent que le taux d’engagement au travail du personnel est lamentablement faible. Or, cela s’explique par un cadre général d’exercice de la tâche, qui ne convie que fort peu de gens à l’engagement au dépassement de soi dans le milieu du travail. Pourtant, le service au client, comme la qualité des biens produits, ne peut être optimisé, sans un engagement senti à se dépasser au travail, de la part de ceux et de celles qui assument la fonction de production-distribution de l’activité dans l’entreprise. Ce qu’il y a désormais lieu d’imaginer autrement, c’est le contexte global d’exécution de la tâche dans l’entreprise.
Imaginer le monde autrement, pour l’entreprise, c’est donc repenser ses modes, méthodes et pratiques de gestion de l’espace-temps du travail. Rien de moins !