Levitin (2014) dit ceci: “La mémoire est faillible, bien sûr, non pas que son stockage soit limité, mais parce que son système de récupération a des limites. Certains neurologues croient que toute expérience consciente est stockée quelque part dans notre mémoire; la difficulté tient de ce qu’elle est difficilement retrouvable et rappelable par la suite. Quelque fois l’information qui en provient est incomplète, distordue voire trompeuse.” Les experts de la science cognitive ont produit des tonnes de preuves, depuis vingt ans, que la mémoire est non fiable. Dès lors que la mémoire a été externalisée, par l’écriture de son contenu, son système d’inscription, ainsi libéré, passera à l’enregistrement de données nouvelles. Telle que la mémoire qui oublie, l’entreprise, qui aura appris, en cours de management, de son activité et de ses affaires antérieures, finira également par ne plus pouvoir se rappeler certaines choses l’ayant concernées auparavant – le personnel, le client, le service, la concurrence, voire même le profit.
De la mémoire, l’entreprise n’en a pas davantage que l’humain laissé à lui-même. Soit elle aura internalisé son savoir utile, et en perdra de la sorte la partie sur laquelle elle ne sera pas revenue à temps pour la récupérer. Soit elle aura externalisé ses connaissances, et, du défaut de les avoir mises en oeuvre, ne saura plus reconnaître leur utilité potentielle face aux événements de son marché. Théoriquement parlant, toutes les expériences de l’entreprise devraient demeurer stockées dans sa mémoire collective. Et parce que toutes les données liées à son activité et à ses affaires s’y trouveront enregistrées, elle devrait, au besoin, pouvoir les rappeler, en vue de les remettre en service à d’autres fins dans son marché.
Par ailleurs, les informations transcrites, donc contenues sur les supports de mémoire matérielle de l’entreprise, devraient avoir été externalisées en vue de servir une fin d’utilité éventuelle en matière d’opérations et de marché. Le problème, c’est que l’abondance de l’information est tout aussi inutile que la rareté de celle-ci, en termes d’apport au résultat d’exercice de l’entreprise. Et les systèmes de mesure de la performance pleuvant, par les temps qui courent, tout un chacun croit encore utile l’accumulation sans fin de données de toute sorte, sur les antécédents et les perspectives de marché de l’entreprise. Rares sont les entreprises qui font régulièrement “le ménage” dans leurs bases de données, afin d’y éliminer tout ce qui peut gêner le rappel rapide et utile de l’information indispensable à la réorganisation de leurs activités et affaires. En termes de base-client, on estime que 30 % des données sont inutilisables, parce que désuètes, fausses ou inapplicables.
En somme, l’entreprise perd en mémoire vive (capacité de concurrence) ce qu’elle gagne en mémoire morte (incapacité à se régénérer dans son marché).