Habermas (1987) déplore que, « comme le milieu du travail manque d’égalité, de respect, d’équité, la vie économique est une sphère exempte de libre sociabilité ».
De fait, la « libre sociabilité » suppose l’efficience des rapports interindividuels et collectifs dans les communautés humaines où ceux-ci se produisent. Et cette efficience doit s’exprimer en « égalité », « respect » et « équité » de rapports entre les personnes composant ces communautés, ce qu’on appellera une « rationalité sociale » partagée dans l’intelligence des intérêts du genre humain. À vrai dire, il n’est pas de relations sociales qui vaillent entre les humains en communauté, s’il n’y a que des échanges sans teneur de « rationalité sociale » véridique entre eux.
Or, l’entreprise est un milieu social de vie active, et donc une communauté humaine d’intérêts collectifs à réaliser dans l’intelligence de ses parties prenantes. L’entreprise ne doit pas être réduite à un milieu du travail dépourvu de « sociabilité », parce que raisonnée comme un espace-temps de technicalités de production économique.
L’entreprise n’est pas une « structure hiérarchique » de circonstances (Estlund, 2003) divisée en « inégalités » (Bowles et Gentis, 1993) de pouvoir et d’avoir. Elle est le produit de volontés, de valeurs et d’actions concertées entre plusieurs personnes assumant, pour des fins d’efficience sociale, des charges d’emploi distribuées en fonction des habiletés de chacun et des besoins de l’ensemble. En somme, l’entreprise doit être comprise, organisée et gérée comme une « démocratie en vivacité d’état », bien plus que comme une « oligarchie en déshérence d’être » (Pateman, 1970).
L’entreprise, par ailleurs, est un lieu de délibération, en vue d’actions coordonnées et conséquentes d’amélioration sur l’objet de son activité et de ses affaires. Ce qui ne doit pas en faire pour autant un domaine d’exercice de « pouvoir politique » (Tully, 2002), par sa dimension interne, et un système de service aux autres, par sa dimension externe. Au contraire, cela doit pouvoir en faire un instrument d’attention aux besoins de ceux qu’elle sert comme aux besoins de ceux qu’elle met à contribution pour les servir. Elle ne doit pas être entendue comme une « organisation technique » (Connolly, 1995). Elle doit être vécue comme une « nécessité économique » (par son offre) à « responsabilité sociale » (par la satisfaction du besoin de mieux-être du client) (Honig, 1993).
Or, l’entreprise, comme milieu du travail, ne peut retenir quelque caractéristique de « sociabilité », en « économie comportementale », tout en « manquant d’égalité, de respect, d’équité » à l’endroit de ceux qu’elle emploie et de ceux qu’elle sert. En termes de fond et de forme, elle doit être appréhendée non pas comme un ersatz économique, mais comme un fondamental social. L’entreprise a mission implicite de satisfaire les attentes de mieux-être de ses demandeurs (dimension de fin sociale), bien qu’elle réponde à celui-là par une offre de biens et de services (dimension de moyens économiques).
L’effet (les moyens) ne doivent pas oblitérer la cause (la fin) de l’entreprise. Et donc, le social doit y primer sur l’économique. Et il n’est pas de fin sociale dûment assumée par l’entreprise, sans « sociabilité par l’égalité, le respect et l’équité » de ceux qu’elle sert comme de ceux qui la servent.
Chez vous, en entreprise, « la sociabilité par l’égalité, le respect et l’équité » est chose patente et mesurable, ou si, au contraire, « tout est laissé pour compte à ce chapitre par une direction à fixation maladive sur le profit »?