P. Adler (2004) signale que « Nos habiletés sont construites à compter des objets matériels de la tâche et des relations avec les autres en milieu du travail ». Bien que nos habiletés soient acquises en isolation relative (une personne à la fois), elles sont tout de même modulées par le cadre social duquel elles sont issues et dans lequel elles seront utilisées par la suite (Littler, 1982). Wenger (2000) rappelle, que nos habiletés n’ont de portée utile, autant à l’acquisition qu’à l’usage, que dans la mesure où elles s’inscrivent dans le sens que leur donne la communauté de pratique qui les contiendra.
Il y a donc un sens collectif inhérent aux habiletés (Barley et Kunda, 2001) développées dans l’entreprise. Parce qu’elles n’ont d’utilité immédiate, que dans le milieu où elles sont acquises pour y être utilisées tel qu’attendu par lui (Adler, 2004; Lindkvist, 2005).
Les études de Orr (1997) ont démontré, que les techniques du travail sont moins normées par les programmes de formation officiels (voire les manuels d’instruction), que par les savoirs transmis entre les personnes dans les entreprises. Plutôt que d’être parfaitement standardisées, elles sont foncièrement personnalisées, et donc plus influencées par le corps d’emploi que par les règles formelles de l’entreprise.
La dimension sociale de l’espace-temps de vie en entreprise, et non pas que les seules technologies qui cadrent l’activité et les affaires, agit directement et puissamment sur les habiletés développées et pratiquées par son personnel. À cet égard, on peut dire, que le contexte du travail et les conditions générales d’exécution de la tâche influent sur le « sens » des habiletés acquises et exercées dans l’entreprise (Bechley, 2003). Et donc, à travers ce « sens », les habiletés du personnel vont agir sur la portée de « l’identité propre » (Tardif, 2018) de l’entreprise.
Ce qui veut dire, que le benchmarking, qui présumément consiste à importer, avec l’intention d’adapter, les meilleures pratiques des rivales de marché, ne tient pas compte du fait que la performance imputée à celles-ci dépendait du contexte et des conditions de leur entreprise d’origine. Or, la culture ne s’importe pas. Les technologies peuvent être importées, et adaptées au besoin au cadre de gestion de l’entreprise d’arrivée. Mais les techniques du travail, que sont les habiletés inhérentes à la tâche, ne peuvent dégager le même résultat dans un contexte et dans des conditions qui les déformeront sous l’effet du cadre différent d’application de l’entreprise voulant les importer.
Ce qui ne signifie pas, que les savoirs acquis par les autres entreprises ne peuvent pas inspirer des changements dans l’ordre de gestion de l’activité et des affaires des autres. Ce que cela suppose, plus fortement encore, c’est que les habiletés à développer par chacune doivent correspondre au contexte et aux conditions de chaque entreprise concernée. D’ailleurs, l’utilité de toute entreprise, aux fins d’accomplissement de sa mission implicite d’optimisation de son service au client, impose à chacune de développer des pratiques qui lui soient propres.
En conclusion, si l’entreprise veut que son personnel développe des habiletés qui lui permettront de mieux satisfaire sa mission par la différenciation, il lui reviendra de pourvoir celui-ci en contexte et conditions propices à l’affirmation de l’identité propre d’organisation la démarquant comme instrument d’utilité (d’avantage) au client.
Chez vous, en entreprise, le « cadre de gestion » facilite le développement d’habiletés qui lui sont propres, ou le contexte du travail et les conditions générales d’exécution de la tâche sont « impropres à l’affirmation de sa différence » dans le marché?