V. Held (2006) rappelle que « L’éthique de l’attention se distingue de l’éthique de la justice, en ce que la morale qui lui est propre relève de la satisfaction des besoins particuliers de ceux dont on assume la responsabilité ».
Held rejette le raisonnement dans l’abstrait des situations, pour ne retenir que celui des faits qui valident « l’attention aux autres », « la confiance les uns dans les autres » et « la réponse émotive aux besoins des autres ».
Pour Held, la valeur de l’attention aux autres est critique chez l’humain. Parce qu’elle est récursive, et donc revient vers qui la pratique au profit des autres. En somme, l’attention aux autres n’est rien d’autre que la confiance en eux, et celle-ci, sans être conditionnelle au départ, n’existe vraiment que si elle est partagée entre chacun concerné (Tardif, 2018).
En somme, en milieu du travail, la « morale » du partage du mieux-être entre tous découle de « l’éthique de l’attention » par chacun aux besoins des autres. Bien que les besoins de mieux-être soient divers (Ruddick, 1998), d’une personne à l’autre, ce qui supposera des pratiques d’attention différentes chaque fois (Sennet, 2008), on peut penser que la « justice sociale » s’affirmera plus sûrement à l’égard de chacun, si le milieu culturel qu’est l’entreprise est favorable, par ses politiques, aux rapports d’équité entre les uns et les autres.
Weeks (1998) parle « d’intimité citoyenne », qui permette aux humains de ressentir plus vivement le sens de l’appartenance à un même milieu de valeurs sociales. Or, l’entreprise est un espace-temps de vie partagée, à identité propre, soit son caractère culturel particulier, lequel est ponctué par les courants d’influence entre ceux et celles qui y forment des groupes de référence. Et donc, « l’attention aux autres » sert de lien de renforcement du tissu culturel qui traverse l’entreprise, et qui marque les comportements de chacun envers les autres. En ce sens, tous doivent souscrire à une même « éthique de l’attention », s’il doit y avoir, dans l’entreprise, assumation collective de la « justice sociale » qu’impose le milieu de partage équitable en risque, effort et retombées qu’elle ne doit jamais cesser d’être.
Le tort, dans l’entreprise conventionnelle, l’attardée du profit, au désavantage du confort moral de chacun, c’est qu’elle n’estime pas utile de vouer temps et énergie en « éthique de l’attention ». Une « éthique de l’attention » définie en responsabilité partagée par chacun à l’endroit de tous, et non pas comprise comme une « fixation d’intérêts » des uns entendue en termes d’irresponsabilité envers les autres.
Pour qu’il y ait un sens partagé de la responsabilité, de chacun à chacun, encore faudrait-il qu’il se pratique, dans l’entreprise, une « démocratisation de l’attention » (Sevenhuijsen, 2000). Ce qui fait appeler Tronto (2010) à la « création d’institutions de l’attention », dans l’espace de vie commune de l’humain. En somme, que, dans l’entreprise, soient possibles (prévus) des temps et des espaces de « rhétorique sociale » (Code, 1995), où les besoins d’attention de chacun puissent s’exprimer, pour être satisfaits, par la responsabilisation de tous envers les autres.
L’entreprise, qui énonce des valeurs, comme programme d’engagement moral envers sa communauté d’implantation, devrait pouvoir vivre au profit de son propre personnel, des valeurs « d’éthique de l’attention » qui aient une dimension « d’éthique de la justice » envers ce dernier. Sinon, ce que l’entreprise déclarera à l’extérieur sera contredit par ce qu’elle pratiquera à l’intérieur. Or, l’entreprise ne peut prétendre se projeter autrement que comme elle l’est en elle-même.
Chez vous, en entreprise, « l’éthique de l’attention » vaut pour tout le monde, ou « l’irresponsabilité envers les autres » prévaut pour chacun?