Yeoman (2014) cite Holbrook (1977) qui dit : « Si l’on réduit l’humain à une fonction, il est condamné… parce que sa réduction à une fonction lui rend impossible de trouver du sens à sa vie ».
Or, de nos jours, l’humain, avec l’introduction et plus encore l’invasion des « machines pensantes », est réduit à une simple fonction d’assistance (de surveillance), dénuée du « sens utile » de l’activité et des affaires de l’entreprise. Son rôle ne consiste plus à être, avoir et agir par l’intelligence de ses contributions à l’innovation sur ces dernières, mais à assumer une tâche qui, trop souvent, devient une charge socio-psychologiquement démotivante pour lui.
Au lieu de devenir franchement autonome au travail, l’humain est de plus en plus asservi par la tâche. Parce qu’elle manque de dimension émotive, pour ne retenir que celle technique de l’activité et des affaires de l’entreprise. L’humain est sans doute libéré de la pénibilité d’un travail physiquement exigeant, mais non pas exempté des frustrations de la répétition d’une tâche psychologiquement dénaturante. C’est tout comme si on demandait à l’humain de faire partie d’un système au service d’autres humains, qui ne lui reconnaîtrait plus rien de ce qu’il est fondamentalement, pour devenir ce qu’il voudrait éviter d’être foncièrement : une machine. Ce qui le prive d’être l’humain de « sens », que commande son actualisation comme personne.
N’arrivant plus à trouver un « sens utile à sa vie », l’humain déprime. Ce qui explique le taux outrancièrement élevé de son désengagement au travail en entreprise, et sans doute le taux tout aussi inquiétant de violence en société. Parce que l’humain, individuellement comme collectivement, ne trouve plus aussi facilement qu’auparavant de lieu (voie) d’expression (de libération) de son talent, partant de son intelligence créatrice. Son désintérêt pour tout, travail et socialisation, qui se manifeste en déprime personnelle et se traduit en violence collective, est devenu chez lui une forme de « making out » (Burawoy, 1979). Un rejet de ce qui le brime dans sa potentialité d’actualisation pleine et entière.
L’humain veut signer son passage là où il œuvre, et entend s’accomplir par le plus et le mieux et non pas se contraindre par le plus et le moins. Il cherche du « sens », en toute chose qui le touche. En fait, il veut ajouter au monde une touche de contribution propre, par l’exercice utile de son talent. Il n’entend pas être un raccord de machines dans l’entreprise, mais un apport d’humanitude aux autres dans et hors de l’entreprise. Ce qui suppose, qu’il ne sera pas condamné au rôle minable d’un superviseur de mécaniques soi-disant pensantes.
L’humain veut penser par lui-même et agir par lui-même. Ce qui conférera un « sens » d’utilité à son talent, lequel il peut et veut mettre valablement au service de l’entreprise et de la société. Or, la surconcentration de la propriété industrielle et commerciale, comme la domination financière, de nos jours, fait que l’humain est sur-marginalisé dans sa production et sur-sollicité dans sa consommation. Le malheur, c’est que le « sens de la vie », pour l’humain, n’est pas une question de possession et de disposition mais de réalisation et d’évolution.
Chez vous, en entreprise, on réduit l’humain à une « fonction », une sorte d’équation mathématique des opérations ou de statistique financière du capital, ou on lui permet d’exprimer, par son talent et sa contribution, sa capacité d’innover sur l’activité et les affaires? Pensez bien à la question. Les automatismes de réponse ne sont pas obligatoirement des indices de véracité des faits.