Cashman (2017) cite Aldoux Huxley qui dit : « L’expérience n’est pas ce qui arrive à l’humain; c’est ce que l’humain fait de ce qui lui arrive ». Or, il arrive des tonnes de choses à l’humain au cours d’une vie, même courte. Ce qui est moins évident, c’est ce que l’humain peut et décide de faire ce qui lui arrive. Parce que la valeur d’une vie n’est pas le défilement involontaire des événements qui arrivent, mais le produit d’une volonté de transformer ces derniers en avantages de condition propre.
En entreprise, on ne compte plus les occasions d’être, d’avoir et d’agir plus et mieux, non pas que pour soi, mais par soi et pour les autres. Car, la valeur ajoutée de sa vie tient de ce qui sera crée au profit des autres. Et puisque nous sommes également « des autres », le sens commun devrait indiquer, que nous gagnerons plus dans un système d’échanges de bons procédés avec les autres que dans un régime de renfermement sur nous-même.
L’humain ne retient pas sa qualité « d’animal social » en s’abstrayant de son genre, mais en participant à la condition améliorée de celui-ci. En somme, il est issu de son genre, et ne demeure que par son genre. D’où l’importance, sinon l’impératif, pour lui, de contribuer à l’évolution plutôt que de participer à l’oblitération de son genre, par l’amélioration constante de son état.
Or, en entreprise, le management, pour paraphraser Rana Foroohar (2016), est devenu, depuis Taylor, mais plus franchement encore depuis Friedman, un véritable « foutoir financier », où l’on « célèbre la responsabilité sociale » par le discours et où l’on « sacque l’humain » par la réalité de ses opérations. En somme, l’expérience de l’entreprise est un véritable travestissement des valeurs humaines, au profit de la valeur financière de l’organisation qu’est cette dernière. Ce qui compte, pour l’entreprise, ce n’est pas l’expérience enrichie de vie humaine en son sein, mais ce qu’elle peut faire de l’humain pour s’enrichir démesurément et à son détriment.
Le management de la performance, dans l’entreprise, a détourné l’attention (l’intention) depuis l’importance de l’engagement des personnes à se réaliser en grand nombre, au profit de l’enrichissement du petit nombre qui les contrôle. Pourtant, l’entreprise est un instrument de réponse humaine à un besoin social (partant non pas moins humain) de mieux-être du demandeur, qu’est son client. Or, le management, de son activité et de ses affaires, a réussi à travestir cette obligation morale en projection comptable d’opérations.
L’expérience du travail n’est plus vraiment une instance d’accomplissement de soi, pour la majorité des concernés. Elle est désormais le résultat intéressé d’une minorité de gens en mal d’appropriation de l’espace-temps d’actualisation des autres.
La minorité des privilégiés du système dévoyé, qu’est devenue l’entreprise actuelle, dicte l’expérience au travail de la majorité des gens (les autres, c’est l’enfer – Sartre, 1944).
Chez vous, on « actualise les personnes » ou on « financiarise leur expérience de vie utile »?