Thomas (2006) dit ceci: “Henry Ford est devenu riche en fabriquant des voitures de marché de masse. L’entreprise, qui porte son nom, est toujours active dans ce même secteur. Toutefois, ce segment de marché a perdu en valeur. La vraie valeur, dans l’industrie de l’automobile, est désormais à trouver dans le segment de marché de niche (celui de la prime sur offre), où logent Porsche, Audit, BMW.”
Le “modèle d’affaires”, pour ainsi dire, à l’échelle de l’industrie entière de la fabrication automobile, s’est déplacé de la valeur d’usage simple des produits d’offre vers la valeur d’échange des biens acquis. On achète chez Ford, on investit chez Porsche. La masse, fondée sur les coûts (Porter, 1983), ne présente désormais plus d’attraction irrésistible, alors que la niche, elle, fondée sur la différenciation, permet un rendement non pas sur le marché (économies d’échelle) mais sur le capital versé (économies d’envergure). Une grande partie des entreprises se sont délestées de leur fonction d’origine, en se débarrassant de leur système de production, pour ne concentrer leur attention que sur la fonction capitalisation, en misant sur la rotation de leurs investissements plutôt que sur celle de leurs actifs immobilisés. On dit, que le mouvement de balancier s’est fait au profit de la dématérialisation de l’activité et donc au détriment de l’ancienne matérialisation de celle-ci. En somme, les entreprises dématérialisées ne sont plus en mode “dynamique interne” de gestion de leurs capacités de production, mais en mode “dynamique externe” de management de leur avoir financier.
Bien sûr, il faudra toujours, dans la chaîne d’approvisionnement, que des entreprises se chargent de produire les biens physiques réclamés par la demande. Mais cela ne se fera pas nécessairement par les entreprises, qui au départ du cycle d’évolution des activités, auront été celles attelées à la production matérielle des biens de consommation requis par le marché.
En matière de management, on peut faire un parallèle à cet égard, en ce que les pratiques se sont “dématérialisées”, au profit de la substitution rapide des modèles de gestion de l’activité. Au lieu de retenir des modèles anciens, lourds de “matérialité d’exécution”, les entreprises “dématérialisées” sur le plan managérial comptent désormais plus sur le rythme de substitution accéléré de leurs pratiques que sur la rétention de leurs processus antérieurs. Mais, faute d’initiatives, par aversion au risque, il demeure une masse de “Ford” dans tout secteur, pour une poignée de “Porsche”. En d’autres mots, les entreprises innovantes, celles qui savent risquer, et donc perdre ici et là en apprenant, sont plus rares que les frileuses de marché, toujours prestes aux déclarations d’intention et rarement prêtes aux décisions et actes de changement de vocation commerciale, administrative ou technologique.
Au fait, êtes-vous du type “Ford” ou “Porsche”? Vous roulez à gauche ou vous roulez à droite? Vers le passé ou vers l’avenir?