Gingras (2022), traitant de “l’agnotologie”, c’est-à-dire de “l’étude des multiples façons de conserver de manière intéressée des zones d’ignorance pour ne pas remettre en cause des pouvoirs institués” (Proctor, 2008), rappelle l’idée de Francis Bacon, souventefois reprise par la suite, que “savoir c’est pouvoir”. À quoi il ajoute, par renvoi à 1984 de George Orwell, que “l’ignorance c’est le pouvoir”. En fait, le savoir n’est réellement source de pouvoir, que s’il ajoute aux capacités, potentialités et opportunités de la personne (comme de l’entreprise ou de la société) de se réaliser au mieux des circonstances. Et nul progrès n’est l’effet du pur hasard – on ne doit pas confondre accident de parcours et résultat d’interventions. Et donc, l’ignorance est pouvoir, que si, et seulement si, elle est maintenue (obligée) chez les autres, par qui détiendra le savoir utile.
En entreprise, le pouvoir tient du savoir partagé par l’ensemble des acteurs-preneurs au résultat de son activité et de ses affaires. Le pouvoir n’est pas à confondre avec l’exercice d’une domination des uns sur les autres, mais à associer à la convergence, par l’échange additif de résultat, des intérêts de chacun des concernés par l’entreprise, son management et son résultat. Par contre, il est des instances d’exercice du savoir-pouvoir, dans l’entreprise, figée dans ses fausses prétentions de meilleure gouvernance par la domination des autres, lorsque le regard est porté non pas sur la perspective de d’échanges avantageux aux parties concernées, mais sur les autres, par condescendance.
L’entreprise, comme la société d’ailleurs, ne progresse qu’à raison d’avancées sur elle-même. Ce qui commande, qu’elle révise ses modes, méthodes et pratiques de gestion, dans l’intention de faire s’élargir au mieux le bassin du savoir acquis pour aller vers le savoir requis en vue d’une meilleure condition propre. L’humanisation des rapports, en entreprise, tout comme en société, n’ajoute au mieux-être de chacun, que si le savoir circule, et, ce faisant, distribue plus largement le pouvoir qui s’y associe. À vrai dire, ce n’est pas le pouvoir qui importe, mais le savoir. Le premier sans le dernier, c’est la bêtise assurée pour soi-même et avec les autres. Le dernier sans le premier, c’est la catastrophe imposée par soi-même aux autres.
Si l’entreprise, et la société, troquait l’agnotologie pour l’épistémologie (étude des sciences ou de la connaissance), sans doute que circuleraient moins de croyances fausses, d’information tordue, d’incertitudes entretenues, d’opinions partisanes,
d’erreurs de jugement et d’illusions farfelues sur le sens des choses et du monde. Mais voilà, la théorie de la connaissance n’a pas tant été assimilée à la gnoséologie (théorie générale de la connaissance, de ses sources, moyens, formes et résultats), qu’elle n’a été assassinée par l’abêtissement des autres par les intéressés du pouvoir absolu et incontesté sur les autres.